Laurie Coulombe RHCBK8

texte : Laurie Coulombe - photo : Gophrette Power

 

2h am Je ne dors déjà plus. il y a à peine 3 heures que j’ai mis la tête sur l’oreiller. Je commence à m’y faire puisqu’il y a plusieurs semaines que mon sommeil est troublé en vue de cette journée. C’est aujourd’hui que les X sur mon calendrier viennent enfin à terme. Il faut dire que j’ai travaillé fort tout l’hiver. Il n’a pas toujours été facile de garder la motivation à l’entrainement, d’être assidue et persévérante. 

Je me lève la tête et je vois ma belle machine à mes pieds. Ce sera aussi sa première course. J’ai confiance, on se connait bien et je maîtrise agilement la bête. Il est trop tôt pour que je puisse me réveiller. Je dois me rendormir... J’ai une grosse journée qui s’en vient... Inspire, expire, inspire profondément, rendors-toi...

Il est 7h30 du matin quand j’ouvre les yeux. Je ne sais pas trop si j’ai dormi ou simplement somnolé. En passant les mains dans mon visage, je me rends compte que mes paumes sont moites et que mon coeur bat très vite. Je me lève difficilement du petit matelas en plein milieu du salon. L’énergie est bonne dans notre mini-appartement et le soleil est pleinement présent sur Brooklyn. J’enfile les couleurs de mon équipe et j’habille mon vélo de son numéro: 47. Le temps passe si vite et je n’ai pas à m’impatienter qu’il est déjà l’heure de se rendre sur le site de l’évènement. Sur le bord de la piste, j’aperçois nos amis de l’Ouest, le trio 808. Je suis rassurée de retrouver Andy et Caro qui représenteront avec moi les Girls On Fixed de Montréal. On se rejoint et on désamorce notre stress avec des rigolades. Il fait beau sur Red Hook et la journée est parfaite pour les courses.

J’accroche maladroitement la puce de repérage sur la fourche de mon Cinelli merveilleux et je me pique le bout des doigts avec les épingles qui accrochent mon dossard. J’ai envie de pipi pour la troisième fois en moins d’une heure. C’est la nervosité. Je ne sais pas à quoi m’attendre des qualifications, je ne sais pas trop quoi faire... On m’a dit de rouler le plus vite possible sur un tour. Je devrais pouvoir faire ça ! En sortant des toilettes, les filles m’attrapent pour me dire que c’est l’heure; les qualifications des femmes commencent. 

Pas le temps de penser, que je suis déjà sur le bord du circuit. Les membres de mon équipe sont là pour m’encourager et c’est d’un regard confiant que je roule vers la ligne de départ. À ce moment, quelque chose de magique se produit; mon stress se transforme soudainement en moment de bien-être. On rigole un peu avec les autres cyclistes présentent et je me rends compte que finalement, même de partout dans le monde, on y est toutes pour la même chose; s’amuser. La compétition se change alors en moment de partage et en plaisir inattendu. Je me sens bien et à ma place. Après tout, je n’ai rien à prouver à personne sauf à moi-même. D’être ici aujourd’hui représente pour moi un immense accomplissement. Il y a moins d’un an, je n’avais encore jamais fait de vélo et le pignon fixe m’était encore totalement inconnu. Je repense alors à tout ce cheminement parcouru et je me sens un peu fière, je l’avoue. C’est pour moi un moyen très sain de passer un travers d’un deuil important. Ça me ramène alors à mes valeurs fondamentales et ce désir de me dépasser dans la compétition saine. Je pense à Papa et je souris. Je sais qu’il serait fier de sa fille, lui qui roulait un bon vieux Peugeot 10 vitesses...

Je sors de mes pensées quand j’entends le coup de départ et je me faufile au travers de ses femmes cyclistes toutes très habiles. On découvre ensemble le circuit et ce hairpin de 180 degrés tant convoité. Le parcours me semble parfaitement conçu et j’y suis à l’aise. À mon deuxième tour, je donne tout ce que j’ai d’énergie dans le corps et mes jambes s’activent. Ça brule dans mes muscles et je peine à retenir la bave qui coule le long de ma mâchoire. Je veux faire un bon temps. J’entreprends les courbes avec plaisir et je roule. Après quelques tours, je sors du circuit. Je ne suis pas vraiment certaine de ma performance mais le goût de fer dans ma bouche m’indique que j’ai bien forcé. On dirait que mes organes internes ont explosé. J’ai soif, donnez-moi de l’eau! 

Les feuilles de résultats s’affichent sur les tableaux et tout le monde se bouscule. 37éme sur 59. Hé! C’est pas si mal pour une première! Je me range bien au travers de ses cyclistes professionnelles et semi-professionnelles. Cela m’assure une place à la Main Course de ce soir. Il ne reste plus qu’à siester jusque là, bien manger et prendre ça cool.

Une vague de panique m’envahi. J’ai vu plusieurs cyclistes se “péter la gueule” dans la dernière course. Je prends mon téléphone et je texte mon amoureux: “Je le fais-tu ou je le fais pas?” Je me pose vraiment la question... j’ai peur de tomber et de me blesser. 

Je n’ai pas le temps d’avoir une réponse que je suis déjà au travers de toutes ses cyclistes imposantes. Certaines d’entres elles abordent un visage sérieux. Elles, elles vont courser pour la première place. Pour ma part, je sais très bien que je ne ferai pas le podium. Je ne suis pas là pour ça, j’aimerais juste finir cette course avec une position décente et c’est tout. Il y a des flashs de caméra dans tous les sens qui m’aveuglent. Je suis souriante et je trouve ça drôle. Je me sens comme une vedette mais dans le fond, je suis purement inconnue ici. Les gens dans l’assistance crient très forts pour nous encourager et agitent les cloches qui mènent un bruit infernale. 

Je pense que je n’ai même pas entendu le son de départ que je suis déjà engagée comme une folle dans le peloton. Je roule, je tourne, et tout ce que j’entends, c’est ma respiration qui s’accélère. Je vais si vite que le vent assèche un de mes verres de contact qui sautille dans mon oeil droit. Pas le temps de battre des cils, je suis pas ici pour être “cute”, si je le perds, je roulerai en clin d’oeil. Je roule, je dépasse, je me fais dépasser, je draft pour reprendre mon souffle et les tours de circuit s’accumulent. Je pense que ça va relativement bien. Puis, on me fait signe de sortir de la piste.

Pourquoi? Pourquoi déjà? J'ai pas fini !!! Mais on en décide autrement puisque les premières de tête m’ont déjà rattrapées. Merde, je suis vraiment fâchée mais on m’accueille avec des félicitations et on souligne ma belle performance. J’ai complété la moitié de la course soit 9 tours complets sur 18 et tout le monde de mon Team semble content, sauf moi. Je pleure un peu de déception, je l’avoue, mais on me remonte rapidement le moral. Le calibre est très fort et les femmes du peloton en tête roulent à grande vitesse. Bravo Laurie, tu l’as fait. Tu as participé au Red Hook Crit 8 de Brooklyn!

Aujourd’hui, une semaine plus tard, et avec un regard différent, je peux dire que je suis bien contente de ma performance. Après tout, c’était ma première course de vélo à vie. J’ai pas commencé en bas de l’échelle et je considère que j’ai vraiment bien travaillé! Je suis aussi contente d’inspirer plusieurs femmes cyclistes de Montréal à participer aux courses locales ou internationales ou simplement à rouler pour le plaisir. Après tout, chacune d’entres nous à le droit de se réaliser peu importe son calibre et ses objectifs personnels. Comme je ne suis jamais au bout de mes défis, j’ai bien l’intention de finir cette course l’année prochaine peu importe ma position “...dans la compétition saine et la bonne humeur!”.  C’est réalisable et je suis prête à pousser plus fort. 

Et avec tout mon coeur, qu’il est bon de se savoir soutenu et encourager par sa famille du sport. Merci Team iBike pour ce week-end de fou et cette expérience inoubliable. La saison commence merveilleusement bien. XXX