MTL / NYC

texte/photo : Gophrette Power

 

New York City est une ville en constante évolution. J'aime m'y rendre pour de multiples raisons : alimentation, culture, sport et magasinage. En général le trajet se fait en voiture avec des amis au moment du Red Hook Crit de Brooklyn. Un trajet de plus de six heures à travers l'état de New York. Mais il m'est déjà arrivé de faire ce trajet à vélo. C'était en 2013, avec l'équipe de Chalet Magazine et quelques membres du Team iBike. Nous avions effectué ce voyage en quatre jours avec deux véhicules d'assistance, dans le sens NYC / MTL. Vous pouvez revivre cette aventure relatée par Marie-Hélène Lapierre dans cette même rubrique : NYC / MTL 2013. Ou vous régaler les yeux avec le documentaire réalisé par Les Apôtres : NYC / MTL.

C'était mon premier "bike trip" de ce type. J'en suis revenu avec un peu plus d'expérience et un appétit pour les ballades en vélo encore plus grandes. Par la suite, il y a eu quelques autres longues distances comme le Montréal / Ottawa de 200 kilomètres organisé par Gnarly Conspiracy et quelques aller/retour à Bromont via la Route Verte, également 200 kilomètres : Duecento Chilometri Al Giorno.

C'est donc avec beaucoup d'enthousiasme que j'ai embarqué dans la conversation de mes amis Rouleurs, qui cherchaient une longue distance à réaliser durant l'été 2016. Rouler jusqu'à New York faisait partie de leur liste. L'idée de refaire ce trajet m'a tout de suite séduit. Avec mon nouveau vélo, ça ne serait pas la même histoire. Plus facile que la première fois où j'étais en pignon fixe. Nous nous sommes mis à étudier le trajet mais dans l'autre sens, avec un jour en moins et sans assistance.

Pourquoi en trois jours et sans assistance? car c'est la disponibilité que chacun avait et on voulait tous être sur nos machines. Finalement, c'est à deux, Nicolas et moi, que nous avons commencé à rouler le matin du 27 juillet en direction de NYC.


Montréal - Middlebury

229km - 1243m - 10:49:30

 

Nous avons quitté l'île de Montréal via le Pont Jacques Cartier, roulé un bout sur le circuit Gilles Villeneuve et emprunté la Petite Voie du Fleuve qui longe la Voie Maritime du Saint Laurent . Toute une symbolique à nos yeux car on roule sur ces segments très régulièrement durant la belle saison. Ce sont les premiers kilomètres de notre périple mais également nos dernières minutes sur ce terrain familier. Par la suite nous avons pris la direction du sud, vers la frontière des État-Unis.

C'est à la sortie de Candiac, environ au 30ème kilomètre que nous avons croisé la route d'un autre cycliste, Olivier Grégoire. Il me semble que c'est l'équipement sur nos vélos qui l'a attiré. On s'est mis à jaser de notre projet et il s'est offert de nous accompagner sur une vingtaine de kilomètres. Nicolas et Olivier ont beaucoup échangé sur leurs vélos Opus et on a roulé sur le Rang Saint-André entouré par les champs verdoyants de la rive sud. C'est au croisement de la Montée Douglass qu'Olivier a continué sa route de son coté.

Au 85ème kilomètre, nous avons passé la frontière via le petit poste de la 221. Cette fois-ci le douanier a été normal et ne nous a pas posé de questions bizarres. Donc tout va très bien et nous sommes dans les temps. Prendre le ferry à Plattsburgh était une très bonne option. Ça nous a permis de faire une petite pause et de gagner quelques kilomètres sur l'étape. On y a rencontré des athlètes qui revenaient du IronMan Lake Placid donc là aussi, on a jasé vélo. À partir de Burlington les jambes ont commencé à devenir lourdes et une douleur est apparut au niveau de mes chevilles. À partir de là, nos conversations se faisaient rares ou composées uniquement de mots clés. La fatigue est arrivée plus vite que prévu, tout comme la disparition du soleil. On est plus du tout dans les temps et c'est dans une lumière déclinante que nous avons parcouru les cinquantes derniers kilomètres, mais avec le même enthousiasme que les premiers.

 

album photo de la première journée : MTL/NYC - Stage No.1 et le tracé Strava

Rang Saint-Andrée au 42km à 9:15am : Olivier et Nicolas jasent bécik

Ferry à Plattsburgh au 125km à 3:05pm : Nicolas regarde vers le futur


Middlebury - Hudson

234km - 1189m - 10:47:05

 

À mon réveil le matelas été mouillé, au niveau de mes pieds. J'ai effectivement sombré rapidement et dormi non-stop avec les sacs de glace sur les chevilles. Leur contenu avait fondu et inondé le lit. Je me souviens avoir regardé le plafond de la chambre d'hôtel en passant mon corps en revu pour tenter de repérer d'éventuels dysfonctionnements. Mes douleurs aux chevilles étaient encore présentes mais tout le reste allait bien. J'avais juste hâte de remonter sur mon vélo. La météo indiquait une journée ensoleillé suivi d'un ennuagement tardif avec un risque de pluie. Pfff, c'est juste un détail pour le moment.

C'est une fois sur les vélos que les conversations ont commencé à être un peu plus riche en contenu. Mais au 38ème kilomètre, une crevaison vient casser le rythme qui était assez relax, car nous n'avions pas vraiment mangé depuis le motel. C'est au 50ème kilomètre, à Castletown que notre route croise le Sunrise Family Restaurant. C'était à la mi-journée et nous étions bien relax, un peu trop d'ailleurs. En analysant la route qui nous restait à parcourir sur nos GPS, nous nous sommes rendu compte qu'il nous a fallu quatre heures pour effectuer un quart de l'étape du jour. La crevaison et le "gros" dej' nous ont fait perdre beaucoup de temps. Mais aussi les deux cent kilomètres de la veille nous étaient rentré dans le corps. C'est au 70ème kilomètre, en sortant de Whitehall que l'on a finalement commencé à rouler vraiment.

Plus le temps de niaiser et de regarder le paysage. Mes chevilles étaient en ébullition mais le relief était en notre faveur. Nous n'avons rencontré que de légères petites montées et je m'étais habitué à la douleur. Au 120ème kilomètre il était presque 16:00 et la vue de ce petit cours d'eau sur notre droite m'avait donné une envie terrible d'y plonger mes pieds, juste quelques minutes, histoire de faire descendre la température et pour que Nicolas fasse une micro-sieste d'astronaute. Mais on ne s'attarde pas. Tout comme les stations d'essence avec nos petits rituels : Gatorade jaune pour moi et le bleu pour Nicolas, accompagné de succulents Pringles Original.

C'est aux portes d'Albany, au 163ème kilomètre qu'une petite pluie fine a commencé à nous accompagner mais rien de vraiment gênant. On a fait une pause pour protéger un peu mieux notre équipement et avons roulé jusqu'à Cuginos Pizzeria. Gros régal pour notre 186ème kilomètre à 20:12.

Deux bonnes heures plus tard, nous étions toujours sur la 9J en direction de Hudson. Totalement plongé dans le noir car les batteries de nos lumières étaient vides. Nous avons dû ralentir la cadence car on ne voyait absolument plus rien. Nous roulions le plus au centre de la route, sur le peu de bande jaune que l'on pouvait apercevoir. Là, dans le noir, Nicolas a commencé à halluciner. Il apercevait des silhouettes d'aliens qui grouillaient dans tous les sens. Il m'a affirmé plus tard que ce n'était pas la première fois qu'il avait eu à faire fasse à leurs attaques. D'après lui, il serait comme Sigourney Weaver, un hôte parfait à la gestation d'un embryon. Ce serait pour cette raison qu'ils ne cessent de le poursuivre et uniquement durant ses longues ballades nocturnes. Personnellement, je pensais juste qu'au fait que nous étions totalement invisibles sur cette route bordée d'arbres à la chaussée très glissante. Mais il me semble tout de même avoir entendu quelques grognements autour de moi. Finalement, après plusieurs attaques d'aliens et quelques kilomètres plus loin, la zone urbaine de Hudson a commencé et les lumières nous ont sympathiquement indiqué le chemin de l'hôtel. Belle surprise à notre arrivée. À la vue de notre état, l'hôtelier nous à gentiment surclassé. Avoir un grand lit chacun pour la seconde nuit a été plus que réparateur.

Ah oui, au moment de mettre mes vêtements à sécher un peu partout dans la chambre, je me suis rendu compte que je n'avais pas de semelles dans mes chaussures. Elles ont dû rester chez moi à Montréal. J'ai cette habitude de les retirer après chaque ride et j'avais oublié de les replacer avant de prendre la route. Ça faisait donc deux jours que je roulais à même le fond. Mes chevilles sont entrées en éruption volcanique. C'est à ce moment précis que les aliens nous ont porté le coup fatal...

 

album photo de la deuxième journée : MTL/NYC - Stage No.2 et tracé Strava

Crevaison prêt de Hubbardton au 38km à 10:07am : "Hey Nic, check le gros truck rouge"

Sur la 9J prêt de Rossman au 223km à 22:18pm : Nicolas finit son 7ème Gatorade bleu


HudsonNew York City

227km - 1969m - 11:16:35

 

À 6:00 le troisième jour, nos réveils nous ont réveillé dans une parfaite synchronisation sonore. La première vision a été celle de notre chambre légèrement en bordel. Les affrontements avec les aliens ont dû être assez violents car nos affaires et équipements étaient éparpillés un peu partout . Au bout de quelques minutes, nos ventres se sont mis à gargouiller. Est-ce que c'était la faim qui nous tiraillait les intestins ou la gestation d'un hôte qui y aurait élu domicile?

Après avoir copieusement déjeuné, re-packté nos affaires et quitté l'hôtel nous avons roulé sur Warren Street, la rue principale. À 8:30 c'était très calme et avons croisé que très peu d'humains. J'avais préparé le tracé de cette étape de sorte qu'il soit le plus court possible jusqu'à New York. Ce qui nous a fait rouler sur des portions de route pas vraiment "bike friendly". À la mi-journée nous avions seulement 70km au compteur, tout allait très bien. J'avais placé les semelles de mes OnCloud dans mes GiroVR90 et mes chevilles étaient comme neuves.

Les petits bourgs et villages défilaient les uns après les autres autour de nous. La double ligne jaune était la seule chose qui ne changeait pas. Elle nous observait, nous encourageait... Elle était devenue notre guide. Au 120ème kilomètre, il était 16:40 et les paysages dans les Hudson Highlands étaient superbes. Le soleil était de la partie et on ne se lassait pas de faire de petits arrêts pour immortaliser ces moments.

La fatigue musculaire et morale était devenue normale et faisaient désormais partie de notre routine. C'est toujours très intéressant, lorsque que ce moment arrive dans une aventure longue distance. C'est comme être en transe tout en étant parfaitement lucide sur ce qui est en train de se passer. L'évaluation du niveau d'énergie à utiliser suivant les difficultés qui se présentent. Comme le choix du ratio à utiliser, la position sur le vélo, le nombre de gorgées de Gatorade à avaler... Cette étape était un "dèjà vu". Je n'oublierais jamais le Bear Mountain Bridge. C'est à cet endroit que j'ai dû abandonner durant la première étape du NYC / MTL 2013. Sous la chaleur intense et la déshydratation mes jambes étaient devenues des barres en titane. Impossible d'aller plus loin, alors que nous avions juste parcouru un tiers du chemin. Croyez moi que l'orgueil a pris un sacré coup ce jour là.

C'est donc à cet endroit chargé de souvenirs qui vous donnent des crampes, au 137ème kilomètre que notre nouvelle routine a commencé à être mise à rude l'épreuve. Nous étions géographiquement très proche de New York, un peu moins de 90 kilomètres. Mais tellement loin mentalement. Malgré que mes Giro étaient redevenues des mocassins et que mes douleurs aux chevilles avaient disparu, la série de collines à laquelle nous avons dû faire face nous ont littéralement sortie de notre zone de confort. Un relief chaotique avec des côtes pouvant aller de 15° à 30° d'inclinaison sur des distances de plus de 6km pour la plus rude. Mais tout ce qui monte d'un coté, redescend de l'autre. On ne s'est pas privé à faire de bonnes petites pointes dans le but d'avoir de l'élan et gagner quelques mètres sur la prochaine "ostie de calice" de montée.

Plus on approchait de New York, plus la lumière du jour disparaissait. On ne parlait quasiment plus. On ne s'arrêtait que pour reprendre notre souffle, faire pipi et regarder nos GPS. Je me souviens d'avoir eu l'impression d'être un jour de course, d'être entrain de faire un triathlon sur Silvan Avenue (9W). Les coudes sur le guidon, la tête baissée, assis sur le bout de la selle. Chaque coup de pédale avaient l'effet d'un coup de marteau sur le cerveau. Je voyais bien que Nicolas pouvait pousser plus fort que moi sur cette partie. Mais tout gentleman qu'il est, il a patiemment calé son rythme sur le mien et avons partagé le sillonnage à tour de rôle. C'était calme, très peu de voitures et la nuit était entrain de nous engloutir. Nicolas était à nouveau sur ses gardes et scrutait les bas-cotés se préparant à d'éventuelles attaques d'aliens.

La traversée du George Washington Bridge c'est faite dans le vacarme d'une circulation abondante. Pas de toute, nous arrivions dans une grande ville. Depuis le pont, nous avons brièvement observé Manhattan qui scintillait. C'est à partir de cet instant qu'une nouvelle phase physique et psychique a commencé. Nos cinq sens se sont mis à ne plus très bien fonctionner. La fatigue nous est tombée dessus d'un seul coup et elle pesait plus d'une tonne. On n'arrivait plus à pédaler et à se tenir correctement sur nos vélos. C'est assez bizarre à dire, mais rouler sur la piste cyclable Hudson River Greenway a été la partie la plus dure de ce voyage. Plus de force dans les muscles, à un tel point que je me faisait doubler par des piétons. Notre destination se trouvait sur Bedford Avenue, Brooklyn. Il nous fallait donc traverser Manhattan pour atteindre le Williamsburg Bridge et c'était long, très long. Je crois m'être endormi à chaque feu de signalisation. J'ai perdu le sens de l'orientation à plusieurs reprises, tout comme Nicolas dans le traffic. Mais il réapparaissait sur ma droite roulant dans l'autre sens sur un trottoir ou sur ma gauche entrain de faire un selfie devant de vieilles voitures. Il me parlait, mais je ne comprennais rien. Les taxis jaunes, la traversé du pont, les clés de l'appartement au dépanneur du coin, la douche et finalement...

 

album photo de la troisième journée : MTL/NYC - Stage No.3 et tracé Strava

Stearn Road (9D) au 120km au bord du Fleuve Hudson dans les Hudson Highlands

Au 201km sur le George Washington Bridge il était 21:56, Après ça, tout est flou...


New York City

40km - 127m - 3:03:56

 

Pour le dernier jour nous avions les jambes bien tendues. Nous sommes quand même allés chez Dumpling Man, au Rapha Store et d'autres spots à la recherche de vêtements Mission Workshop. On avait même pensé à aller se faire tatouer pour symboliser cette aventure... Mais souffrir encore n'était pas au programme de cette journée. Mais juste se la couler douce en faisant le tour de Central Park, rouler sur Time Square, se perdre dans Soho et jouer un peu dans le traffic. Malgré tout, nous ressentions comme un manque. Nos corps s'étaient accoutumés à l'effort que nous leur avions imposé les jours précédents. Ce qui nous amené naturellement à beaucoup discuter sur les possibilités de faire un autre voyage de cette nature l'été prochain. Donc cette petite aventure entre amis consentants n'était que le début d'une plus grande. To be continued...

 

album photo de la quatrième journée : MTL/NYC - Stage No.4 et tracé Strava